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La cloison-valve se rétracta pour s’ouvrir et Nom Anor pénétra dans la chaleur étouffante de la salle de la Gloire. Le Maître de Guerre, enfoncé dans son trône de la Connaissance à une trentaine de mètres de là, était à peine visible au milieu de tous les insectes de feu qui réchauffaient la pièce de leurs abdomens écarlates. Certaines de ces créatures voletaient tout doucement à travers la salle, d’autres voyaient leurs appendices lumineux s’éteindre ou se rallumer. Mais, pour la plupart, les insectes flottaient sur place, représentant chacun le dernier emplacement connu des vaisseaux dans l’espace ou bien une concentration d’appareils plus petits. Pour un œil non exercé, la vision n’avait aucun sens, mais, pour un observateur attentif, il était possible d’identifier la fonction de chacun des insectes au seul battement de ses ailes : bourdonnement grave pour les vaisseaux Yuuzhan Vong, grondement sec pour ceux de la Nouvelle République, vibration soutenue pour les autres engins impériaux et sifflement aigu pour le reste de la flotte infidèle.

Le bourdonnement des forces d’invasion, concentrées au centre de la pièce, semblait entouré par le crissement des infidèles. Vue comme cela, la situation semblait bien précaire. Mais une odeur acre monta aux narines de Nom Anor alors qu’il traversait la nuée d’insectes de feu, représentant les appareils ennemis, assemblés près de l’entrée de la salle. Et cela le rassura. La puanteur témoignait d’un manque d’organisation et de préparation au combat, assurant ainsi aux Yuuzhan Vong une victoire rapide et facile. Le succès de l’Exécuteur, grâce à son action destinée à diviser encore davantage le Sénat de la Nouvelle République, avait dû grandement contribuer à l’intensité de cette odeur. Cela ne faisait aucun doute, et c’était certainement pour cela que le Maître de Guerre lui avait ordonné de venir lui faire son rapport dès son retour. Enfin, c’était ce que Nom Anor osait espérer. Toute autre raison serait bien trop horrible à imaginer.

Nom Anor passa la zone des infidèles et traversa la colonne d’invasion Yuuzhan Vong. Là, l’odeur aigre de la confusion laissa la place à un parfum d’organisation et de détermination. Au lieu de virevolter de manière confuse, comme cela était le cas dans la section de la pièce où se trouvaient les insectes représentant les vaisseaux républicains, les créatures s’écartaient au passage de l’Exécuteur avant de revenir sagement reprendre leur place.

En s’approchant du centre de la salle, Nom Anor vit plus distinctement le Maître de Guerre sur son trône de la Connaissance. Recroquevillé sur six pattes puissantes, le siège était un peu plus petit qu’un landspeeder infidèle et envoyait en permanence des instructions aux insectes de feu par l’intermédiaire de ses centaines d’antennes aux extrémités étincelantes.

Le Maître de Guerre lui-même était assis au centre du trône, reposant dans une sorte de conque neurologique. Sa tête était hérissée de capteurs sensitifs pareils à des vers, ses mains disparaissaient dans des poches de contrôle reposant sur les bras du fauteuil, de part et d’autre de son corps. Nom Anor n’avait jamais pris place sur un trône de la Connaissance, mais il savait qu’un occupant talentueux pouvait partager une telle symbiose avec la créature que cela lui permettait d’embrasser d’un seul coup d’œil toute situation stratégique. Chaque bourdonnement d’insecte de feu identifiait non seulement la classe et le nom du vaisseau représenté, mais également l’état de l’appareil et l’estimation de son potentiel d’efficacité au combat. De subtiles variations d’odeur suggéraient l’état du moral du capitaine et de son équipage. Les nombreuses estimations avaient été affinées au fil des ans au moyen de formules chimiques complexes, de renseignements puisés au cours de batailles passées et d’informations provenant directement de la situation tactique générale. Même si Nom Anor n’en avait jamais fait part à haute voix, il avait constaté que les estimations semblaient toujours au plus haut en faveur des Yuuzhan Vong et au plus bas pour les appareils des infidèles.

La foule habituelle d’apprentis, de subalternes et de scribes s’écarta pour laisser le passage à Nom Anor. Seuls les apprentis et les subalternes croisèrent leurs bras en travers de leur poitrine pour le saluer. Un amalgame de devins et d’analystes militaires avait été assemblé afin de collecter des informations sur les capacités de l’ennemi et de relayer ce qu’ils savaient à la multitude d’insectes de feu. Chacun d’entre eux était également prêtre d’un des nombreux dieux auxquels les Yuuzhan Vong vouaient un culte. Techniquement, ils dépendaient tous de Vaecta, la grande prêtresse du Sunulok, plutôt que du Maître de Guerre. Aucun ne manquait d’ailleurs d’insister sur ce point précis dès que l’occasion se présentait. Nom Anor savait pertinemment que cette façon de procéder déplaisait considérablement à Tsavong Lah, mais, tout du moins aux yeux de ceux qui baignaient constamment dans la religion, cette précaution était nécessaire pour éviter que toute autre divinité symbolique ne se retrouve en position d’infériorité par rapport à Yun-Yammka le Massacreur.

Essayant de ne tirer aucune conclusion du manque d’enthousiasme qui se lisait dans les yeux de ceux qui se trouvaient autour de lui, Nom Anor s’arrêta devant le trône de la Connaissance et se frappa la poitrine en guise de salut.

– J’arrive directement de la baie d’accostage, mon Maître.

Tsavong Lah baissa la tête vers lui depuis son curieux perchoir. Ses yeux et sa bouche étaient à peine visibles sous la multitude de capteurs sensoriels.

– Comme on te l’a ordonné. Parfait.

Nom Anor sentit sa bouche s’assécher. Aucun mot de bienvenue, aucun début de félicitations.

– Je suis désolé d’avoir mis tant de temps à rejoindre la flotte. Mon retour a été retardé par quelques difficultés rencontrées au départ de Coruscant.

– Ce n’est pas évident d’échapper à l’attention des défenses planétaires lorsqu’on les a à ses trousses, j’en suis sûre, dit Vergere d’une voix fluette. (Elle joua des coudes dans la foule de subalternes et apparut entre deux scribes.) Il faut que je vous félicite pour votre évasion. Très ingénieuse.

– Oui, l’organisation permet beaucoup de choses. (Nom Anor eut bien du mal à contenir la colère dans sa voix. Il était persuadé que Vergere se trouvait derrière la tentative d’assassinat de Borsk Fey’lya. Il avait analysé le problème sous tous ses angles et avait conclu que, de tous ceux qui trempaient dans cette affaire, Vergere était certainement celle qui en tirerait le meilleur parti.) Je suis tout simplement désolé d’avoir dû vous décevoir.

– Pourquoi serais-je donc déçue par votre évasion ? (Vergere écarta les bras.) La valeur de vos actions pour notre cause est connue de tous.

Il avait beau être accoutumé aux jeux de la politique, Nom Anor trouva cependant que la subtile moquerie de cette créature à moitié païenne dépassait les bornes. Non seulement elle avait entravé le déroulement de sa mission, et manqué de le faire emprisonner, mais voilà que maintenant elle le ridiculisait aux yeux de son maître et de ses pairs.

– Inutile de jouer les modestes, Vergere, dit Nom Anor, luttant pour conserver une voix glacée et imperturbable, même si toute sa colère était suffisamment tangible à présent pour déclencher un murmure perplexe dans les rangs de l’assistance. Il nous faut applaudir votre ingéniosité. Je n’aurais jamais imaginé qu’un simple animal de compagnie serait capable de tant d’astuce, pour ne pas dire d’audace.

Si Vergere avait été une Yuuzhan Vong, les propos de Nom Anor auraient suffi à déclencher un affrontement sanglant. Mais la petite créature se contenta de redresser ses antennes.

– Est-ce que vous me blâmez pour ce qui s’est passé au Sénat ?

– Tentative ambitieuse pour éliminer un rival, commenta Nom Anor. Que la tentative d’assassinat ait réussi ou non, ce n’est plus un problème. Les infidèles et le Maître de Guerre considèrent que j’en suis seul responsable. (Il porta son attention sur Tsavong Lah.) Le fait que je sois revenu doit prouver à la fois mon dévouement à la Grande Doctrine et ma certitude que le Maître de Guerre ne prêtera pas attention à des ruses aussi primitives.

Le bec de Vergere s’ouvrit et tout le monde crut qu’elle allait pousser un cri. Mais elle se retint et sembla se calmer.

– Ne m’accusez pas de vos échecs sur Coruscant. Cela ne peut que vous donner encore plus l’air d’un…

– Assez.

Le Maître de Guerre n’avait pas élevé la voix, mais son seul timbre avait suffi à faire taire Vergere. Et à lui sauver la vie. Si elle avait terminé sa phrase par le mot imbécile, Nom Anor aurait été dans son droit en massacrant la créature immédiatement. On n’en aurait d’ailleurs pas attendu moins de lui.

– L’assassinat de Borsk Fey’lya – enfin, la tentative d’assassinat – n’a que peu d’intérêt pour moi. (L’ombre d’un sourire se dessina sur les lèvres de Tsavong Lah. Il manipula quelque chose dans l’une des poches qui se trouvaient sur les bras de son fauteuil. Les pattes du trône se déployèrent, permettant au Maître de Guerre de venir s’entretenir avec ses interlocuteurs au même niveau qu’eux.) Avant ton arrivée, Nom Anor, nous discutions de la pâle tentative d’intimidation de nos troupes par le Général Bel Iblis en évoquant cette histoire de Jeedai jumeaux. Comment a-t-il bien pu avoir une idée pareille ?

Nom Anor savait ce que Tsavong Lah voulait entendre, mais il n’était pas assez stupide pour mentir au Maître de Guerre. Surtout pas avec Vergere, non loin de là, prête à sauter sur la moindre occasion.

– J’ignore comment Bel Iblis prépare ses plans.

– Alors, essaie de deviner, dit Tsavong Lah. Je te l’ordonne.

Nom Anor sentit une boule se former dans sa gorge. Les insectes de feu, momentanément dispensés des ordres du trône de la Connaissance, se mirent à fondre sur le groupe. Un simple contact avec leur abdomen incandescent était encore plus douloureux qu’une piqûre de leur dard, mais c’était un prix à payer pour attester de son dévouement. Les membres de l’assistance ne se risquèrent pas à faire le moindre geste, sauf pour chasser de leurs yeux les bestioles nuisibles. Seuls les scribes demeurèrent parfaitement de marbre.

– Mon Maître, les humains sont très différents des Yuuzhan Vong. Chez eux, les jumeaux ne sont pas aussi exceptionnels que chez nous, dit Nom Anor. (Au cours de toute l’histoire Vong, on n’avait recensé que de très rares naissances de jumeaux. Cela ne se produisait que lorsque les dieux le souhaitaient. Mais, à chaque fois, l’un des jumeaux avait assassiné l’autre pendant leurs jeunes années, avant de croître en un chef puissant capable de sortir l’Empire d’une crise grave. Le Seigneur Shimrra en personne avait massacré son frère dans son enfance. Par la suite, il avait acquis la maturité lui permettant de deviner l’emplacement de la nouvelle galaxie que les Vong étaient en train de conquérir.) Chez les humains, la naissance de jumeaux n’a rien d’une faveur des dieux.

– Vous affirmez donc que les enfants Solo sont réellement des jumeaux ? (Le scribe qui venait de poser la question était Kol Yabu, de la Flamme Eternelle. Un « moitié-moitié » dont le corps horriblement brûlé avait été reconstruit par les laborantins Vong afin d’apparaître masculin d’un côté et féminin de l’autre. En tant qu’apôtre de la Flamme Eternelle, Kol Yabu vénérait les jumeaux Yun-Txiin et Yun-Q’aah, un frère et une sœur, dieux de l’amour et de la haine, représentant toutes les choses qui s’opposaient.) Vous admettez que Jacen et Jaina Solo sont bien frère et sœur, que ce sont donc des jumeaux Jeedai ?

Nom Anor essaya de déglutir, mais trouva sa salive aussi sèche que de la poussière d’os.

– Je n’admets rien, Scribe. (Il se tourna vers Tsavong Lah et décida que c’était peut-être aussi bien que le visage du Maître de Guerre disparaisse en partie derrière la nuée étincelante d’insectes de feu.) Notre espion, Viqi Shesh, prétend que les deux Solo sont des jumeaux, que leur mère et leur oncle le sont également. Peut-être faudrait-il lui reposer la question, à elle, concernant la tactique du Général Bel Iblis.

Tsavong Lah évita le regard insistant du moitié-moitié et posa les yeux sur Nom Anor.

– Viqi est soit un traître à son peuple, soit un agent double infidèle. Je ne lui accorde aucune confiance.

– Et, sur ce point précis, nous ne devons faire confiance qu’à l’opinion d’un Yuuzhan Vong, acquiesça Vergere. (A l’inverse des autres, elle n’était pas entourée d’un essaim d’insectes de feu. Peut-être parce qu’elle ne cessait d’ébrouer ses plumes pour maintenir les petites créatures affamées en respect.) Nom Anor se trouvait sur Coruscant. Il a sûrement trouvé le temps de se renseigner sur un sujet aussi important avant de prendre la fuite.

Nom aurait voulu clamer qu’il n’en avait pas eu le temps, mais il savait bien qu’il était préférable de ne pas tomber dans le piège que lui tendait Vergere. Décidant que son seul salut résidait dans la surprise, il inspira profondément et regarda le Maître de Guerre droit dans les yeux.

– Un certain nombre d’informations confirment ce que prétend Shesh, mon Maître, et je doute qu’elles soient toutes fausses. Même en allant fouiller aux sources les plus obscures, je n’ai rien trouvé qui soit en contradiction avec ses propos. (Lorsque les insectes de feu commencèrent à s’envoler du visage du Maître de Guerre, Nom Anor se dit que son unique espoir de rédemption résidait à présent dans une stratégie risquée.) Clairement, la bonne fortune nous a souri lorsque le nommé Jacen nous a échappé sur Duro.

Le trône de la Connaissance trembla et fit un bond en avant, sans aucun doute en réponse aux poings qui venaient de se serrer dans les poches de ses accoudoirs.

– Dis-moi pourquoi.

La voix du Maître de Guerre était grave et rude. Il n’aimait pas beaucoup qu’on lui remémore comment Jacen s’était servi de sa sorcellerie de Jedi, un an auparavant, pour lui arracher un pied et empêcher le sacrifice de Leia Organa Solo.

Nom Anor inspira profondément et se tourna vers Kol Yabu.

– Comment Yun-Txiin et Yun-Q’aah considéreraient le sacrifice d’un seul des jumeaux ?

Le moitié-moitié réfléchit pendant quelques instants.

– Les Jumeaux Divins ne réclament aucun sacrifice, simplement l’équilibre parfait.

– Ce n’est pas ce que l’Exécuteur t’a demandé, dit Tsavong Lah, foudroyant le prêtre du regard. Réponds clairement ou bien je m’adresserai à l’un des scribes.

Les poches sous les yeux de Kol Yabu pâlirent. En général, il – ou elle, Nom Anor n’avait jamais eu l’occasion de se faire une idée précise – répondait directement à Vaecta. Mais une telle requête du Maître de Guerre ne pouvait pas être ignorée.

– Offensés ne serait peut-être pas le bon mot pour décrire leur état d’esprit. Mais, assurément, la Grande Danse serait déséquilibrée.

– C’est bien ce que je pensais, dit Tsavong, hochant la tête après avoir médité la réponse.

– Si je puis me permettre une suggestion, dit Nom Anor, déterminé à exploiter la situation, peut-être que le Seigneur Shimrra serait satisfait si nous lui sacrifions les jumeaux Jedi. On pourrait les obliger à se battre entre eux, tout comme le Seigneur Shimrra combattit jadis son propre frère, tout comme les dieux l’ordonnent aux jumeaux depuis les débuts de l’histoire Yuuzhan Vong.

Tsavong Lah se rassit dans son trône de la Connaissance et réfléchit. Puis :

– Ce serait un merveilleux cadeau pour Yun-Yuuzhan, n’est-ce pas ?

Aucun scribe n’osa répondre, car seul le Seigneur Shimrra était à même de communiquer avec Yun-Yuuzhan, le tout-puissant dieu cosmique.

– Ils ne se battront jamais, dit Vergere, toujours prête à rabaisser Nom Anor. Ces deux-là sont aussi proches l’un de l’autre qu’un pilote et son corail skipper.

Nom Anor n’eut pas le temps de la contredire.

– Alors, nous devrons d’abord briser leur volonté, c’est tout, dit Tsavong Lah. Et je pense que Nom Anor devrait s’arranger pour que les images du combat soient retransmises à la Nouvelle République.

– A vos ordres, Grand Maître de Guerre. (Nom Anor s’autorisa un petit sourire malicieux en direction de Vergere.) Rien ne pourra davantage démoraliser les Jedi, j’en suis certain.